Trois ans après le début de l’invasion russe en Ukraine, le conflit continue de façonner les équilibres géopolitiques mondiaux. Ce qui était initialement présenté par Poutine comme une opération militaire « spéciale » (rapide et décisive) de la part de la Russie s’est transformé en une guerre d’usure, avec des conséquences profondes pour l’Ukraine, la Russie, et l’ordre international.
Alors que le retour de Donald Trump à la Maison Blanche soulève des questions majeures sur l’issue du conflit et l’avenir des équilibres géopolitiques actuels, j’ai jugé utile de revisiter les arguments développés en 2022 dans une réflexion sur le conflit pour en évaluer la pertinence dans le contexte actuel. Cette réflexion se structure autour de quatre points clés : la rhétorique sécuritaire de Poutine, l’importance historique et culturelle de l’Ukraine pour la Russie, les réactions diplomatiques et militaires de l’Occident, les implications pour l’image internationale de la Russie et l’énigme Donald TRUMP, nouveau acteur majeur du conflit.
1. La rhétorique sécuritaire de Poutine : une justification qui s’effrite ?
En 2022, Vladimir Poutine justifiait l’invasion de l’Ukraine par des préoccupations sécuritaires, notamment la crainte de l’expansion de l’OTAN et la nécessité de protéger les populations russophones. Trois ans plus tard, cette rhétorique semble moins convaincante. L’OTAN, loin de reculer, s’est renforcée avec l’adhésion de la Finlande et la candidature de la Suède, tandis que l’Ukraine, malgré la guerre, continue de nourrir des ambitions d’intégration euro-atlantique. Les gains territoriaux russes sont limités, et la résistance ukrainienne, soutenue par des armes occidentales, a montré une capacité à repousser les forces russes dans certaines régions, comme lors de la contre-offensive de Kharkiv en septembre 2022 ou la libération de Kherson en novembre 2022.
De plus, la Russie a subi des pertes militaires significatives, avec des estimations faisant état de dizaines de milliers de soldats tués ou blessés. Les sanctions occidentales ont également limité la capacité de Moscou à moderniser son armée, ce qui a conduit à une dépendance accrue vis-à-vis des armes iraniennes (comme les drones Shahed) et nord-coréennes. Ces éléments montrent que la rhétorique sécuritaire de Poutine, basée sur la nécessité de protéger la Russie, est de plus en plus difficile à soutenir face à la réalité d’une guerre prolongée et coûteuse.
2. L’Ukraine dans l’imaginaire historique et culturel russe : un enjeu toujours central
Poutine a toujours insisté sur l’importance de l’Ukraine dans l’histoire et la culture russe, la présentant comme une partie indissociable de la « Russie historique ». Cependant, trois ans de guerre ont renforcé l’identité nationale ukrainienne, loin de l’image d’une nation subordonnée à Moscou. Les Ukrainiens ont résisté farouchement à l’occupation russe, et les tentatives de russification dans les territoires occupés ont rencontré une forte opposition. Par exemple, dans les régions de Kherson et de Zaporijjia, les populations locales ont organisé des manifestations massives contre l’annexion russe, malgré la répression.
Par ailleurs, l’Ukraine a renforcé ses liens culturels et politiques avec l’Europe. Le pays a obtenu le statut de candidat à l’Union européenne en juin 2022, et les échanges culturels avec l’Occident se sont intensifiés. La langue ukrainienne, longtemps marginalisée par le russe, est devenue un symbole de résistance et d’unité nationale. Cette évolution contredit directement la vision de Poutine d’une Ukraine « russifiée » et montre que le pays s’éloigne de plus en plus de l’orbite russe.
3. Les réactions de l’Occident : entre diplomatie et soutien militaire accru
En 2022, les pays européens et les États-Unis privilégiaient la voie diplomatique sans succès. Ce qui justifient les sanctions économiques prises contre la Russie. Trois ans plus tard, la diplomatie a cédé la place à un soutien militaire massif à l’Ukraine. Les États-Unis et l’Europe ont fourni des armes sophistiquées, des chars (comme les Leopard 2 allemands et les Abrams américains), des systèmes de défense aérienne (comme les Patriot), et même des formations militaires aux forces ukrainiennes. L’Allemagne, initialement réticente à fournir des armes lourdes, a finalement changé de position, marquant un tournant dans la politique européenne.
Cependant, malgré ce soutien, l’OTAN évite soigneusement une confrontation directe avec la Russie, craignant une escalade nucléaire. Les livraisons d’armes ont été graduelles, reflétant une certaine prudence de la part des Occidentaux. Par exemple, les États-Unis ont longtemps hésité avant de fournir des chars Abrams et des missiles ATACMS à longue portée. Cette approche montre que l’Occident est prêt à soutenir l’Ukraine, mais pas au point de risquer une guerre ouverte avec la Russie.
4. L’image internationale de la Russie : un déclin accéléré ?
En 2022, Poutine dénonçait les interventions occidentales comme des violations du droit international, tout en justifiant l’invasion de l’Ukraine par des arguments similaires. Trois ans plus tard, l’image internationale de la Russie s’est considérablement dégradée. Les sanctions économiques ont isolé Moscou sur la scène mondiale, et les alliés traditionnels de la Russie, comme la Chine, maintiennent une distance prudente. Par ailleurs, les crimes de guerre présumés commis par les forces russes en Ukraine ont conduit à des enquêtes internationales et à des accusations de génocide. En mars 2023, la Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine pour son rôle présumé dans la déportation d’enfants ukrainiens, un acte qui a encore terni l’image de la Russie.
La Russie a également cherché à étendre son influence en Afrique, notamment dans la région du Sahel, où elle soutient des coups d’État militaires qui replongent des Etats et toute une région dans les travers du passé. Fortement soutenue au début par les populations, la coopération russe n’a pas pu combler les attentes et aspirations des populations locales qui commencent à se retourner contre les mercenaires russes. Que ce soit au Mali, au Burkina-Faso et au Niger, les gouvernements militaires soutenus par Moscou peinent à stabiliser leurs pays. Tout ceci renforce l’image de la Russie comme une puissance déstabilisatrice et anti démocratie.
Enfin, sur le plan économique, la Russie est confrontée à des défis majeurs. Les sanctions ont limité l’accès aux technologies occidentales, et l’économie russe dépend de plus en plus de la Chine et de l’Inde pour écouler ses ressources énergétiques. Malgré une résilience initiale, la croissance économique russe est en berne, et le pays peine à maintenir son influence géopolitique surtout en Afrique précisément dans le Sahel (Les Etats du Sahel font encore recours aux institutions de Breton Wood).
5. La vision de l’administration Trump : une déconstruction des équilibres géopolitiques ?
Durant son premier mandat, Trump a adopté une approche disruptive en matière de politique étrangère, remettant en question les alliances traditionnelles, critiquant les institutions internationales et prônant un isolationnisme relatif sous le slogan « America First ». Son retour à la maison Blanche pourrait entraîner une déconstruction des équilibres géopolitiques établis depuis la fin de la Guerre froide, avec des implications majeures pour le conflit en Ukraine et au-delà. Trump a souvent critiqué l’OTAN, qualifiant l’organisation de « obsolète » et reprochant aux alliés européens de ne pas contribuer suffisamment à leur propre défense. Trump pourrait réduire l’engagement américain dans l’OTAN, voire retirer les États-Unis de l’alliance. Une telle décision affaiblirait considérablement la cohésion occidentale et pourrait inciter Poutine à intensifier ses ambitions expansionnistes, non seulement en Ukraine, mais aussi dans d’autres régions d’Europe de l’Est.
Trump a également exprimé son scepticisme vis-à-vis des institutions internationales comme l’ONU, l’OMC ou la CPI, qu’il considère comme inefficaces ou biaisées contre les intérêts américains. Apres le retrait des Etats-Unis de l’OMS et les mesures prises contre les fonctionnaires de la CPI, le système international fondé sur des règles est affaibli et décrédibilisé. Cela pourrait encourager d’autres puissances, comme la Russie ou la Chine, à agir de manière plus unilatérale, sapant les efforts de diplomatie multilatérale et de résolution pacifique des conflits.
Enfin, Trump a souvent exprimé son admiration pour Vladimir Poutine et a cherché à établir une relation plus pragmatique avec Moscou. Plusieurs observateurs craignent que TRUMP négocie un accord de paix basé sur des considérations réalistes plutôt que sur des principes démocratiques ou de droit international. Cela pourrait inclure des concessions territoriales de la part de l’Ukraine, comme la reconnaissance de l’annexion de la Crimée ou l’autonomie des régions pro-russes du Donbass. Une telle approche affaiblirait la position de l’Ukraine et pourrait être perçue comme une victoire stratégique pour la Russie, renforçant ainsi l’influence de Moscou en Europe de l’Est. Une telle approche devrait laisser l’Europe face à ses propres défis sécuritaires, tout en offrant à Poutine une marge de manœuvre stratégique pour poursuivre ses ambitions régionales. En Finlande ? Suède ?
Pour ne pas conclure, le retour de Trump au pouvoir ajoute une nouvelle dimension à l’invasion russe en Ukraine : comment cette guerre va-t-elle redéfinir l’ordre international et les équilibres géopolitiques à long terme ? En introduisant la possibilité d’une déconstruction des équilibres géopolitiques actuels, avec des conséquences imprévisibles pour l’Ukraine, la Russie, et le monde, c’est, peut-être, l’avenir de la démocratie qui se joue en Ukraine !